Le crépuscule d’une influence sahélienne
Sur la bande sahélo-saharienne, un souffle nouveau soulève des dunes que l’Algérie avait cru figer en silence. À Tin Zaouatine, à la frontière algéro-malienne, le vacarme d’un drone frappé au sol et d’un communiqué indépendantiste vient rappeler que la frontière n’est plus seulement une ligne tracée sur une carte : elle est un enjeu, un théâtre, un défi. Toujours vaste, toujours désertique, le Sud algérien s’est mué en miroir d’une influence qui glisse, d’un rôle de médiateur qui vacille, d’un pouvoir régional qui redécouvre sa fragilité.
L’Algérie, jadis refuge des résolutions sahéliennes, voit se lever la marée des souverainismes, des drones, des alliances changeantes — et avec elle, l’idée qu’elle joue encore le rôle qu’elle s’était attribué. Cet article se propose d’analyser, sans parti pris, la géopolitique de ce basculement et d’esquisser les scénarios d’avenir d’une puissance en réflexion.
Le confetti stratégique
L’Algérie possède une géographie qui pourrait être un avantage : plus de 4 000 km de frontières sahariennes partagées avec la Mauritanie, le Mali, le Niger et la Libye. Mais cette dimension s’est retournée en défi : ce qui devait être « profondeur stratégique » est devenu terrain de fragilité. Les urgences sécuritaires y arrivent avant les politiques soigneuses ; les flux illicites, davantage que les discussions diplomatiques, y tracent aujourd’hui des reliefs.
L’arrivée à Tin Zaouatine d’un nouveau mouvement indépendantiste nord-malien, et les frappes de drones à proximité immédiate des gardes-frontières algériens, illustrent que la règle du jeu change. Le temps de l’arbitre discret est révolu.
Médiateur déchu, influence contestée
L’Algérie a longtemps incarné le rôle du pays : celui qui tient « la table », accueille les délégations, impose le silence avant la parole, et reste dans l’ombre. Mais quand ses partenaires sahéliens gravissent les marches de la souveraineté militaire, rejettent les architectures héritées, sont attirés par la Russie, la Turquie, le Maroc, l’Algérie vacille dans son habitude.
La dissolution de l’accord de paix d’Alger (2015), l’essor du pouvoir jugé plus dur à Bamako, la multiplication des acteurs extérieurs dans le Sahel (mercenaires russes, drones turcs, pactes économiques marocains) sont autant de symptômes d’une perte de terrain. Ce n’est pas seulement un recul diplomatique ponctuel : c’est une transformation stratégique.
L’ambition algérienne de rester « porteur » dans la région se heurte désormais à une réalité où elle n’est plus seule, où elle n’est plus première.
Frontière : mur ou fenêtre ?
La frontière algérienne, loin d’être une protection passive, est devenue un champ de bataille symbolique et matériel. Le drone malien abattu en avril 2025 (ou en novembre selon certains rapports) à proximité de Tin Zaouatine, que chacun revendique ou rejette, a provoqué une rupture diplomatique majeure avec la Alliance des États du Sahel (AES). L’Algérie a fermé son air-espace aux avions maliens ; l’AES a rappelé ses ambassadeurs.
Cette confrontation montre que le seuil de tolérance algérien est atteint, mais aussi que les partenaires sahéliens ont désormais les moyens et la volonté de le tester. Pour l’Algérie, la question n’est plus seulement de « gérer la frontière », mais de retrouver une posture de moteur, non de simple vigie.
L’Algérie face à elle-même
Il serait triste de rester dans la gravité sans noter l’ironie de la situation. Le pays qui se tenait à l’écart des ingérences se retrouve accusé d’ingérence ; celui qui possédait l’arme silencieuse de la médiation se voit désormais défier par des coups de feu et des drones.
Les discours officiels parlent de « protection de la souveraineté nationale », mais la souveraineté de qui et par rapport à quoi ? Le pays se proclame « neutre » dans un secteur où la neutralité est désormais suspecte. Il revendique la stabilité tandis que ses voisins célèbrent l’audace.
Dans le style de Camus, on pourrait dire : la grandeur d’un pays ne se mesure pas à la longueur de ses frontières mais à la fermeté de son regard, or l’Algérie, soudain, doit regarder d’autres horizons.
Scénarios géopolitiques pour l’avenir
a) Le redressement mérité
Si l’Algérie engage un tournant : diplomatie renouvelée, partenariats stratégiques ajustés, milice sahélienne contrôlée via coopération transfrontalière, alors elle pourrait reconquérir une place d’acteur distingué.
b) Le repli prudent
L’alternative est un retrait calculé : abandon progressif du rôle de médiateur, recentrage sur ses ressources énergétiques et son intériorité politique. Ce choix est viable, mais signifierait la fin d’un profil « rayonnant ».
c) Le basculement défensif
La pire des options serait celle d’un enfermement stratégique : l’Algérie se barricade derrière ses frontières, militarise ses confins, et laisse le Sahel se refaire sans elle. Ce scénario l’expose à l’isolement et à la perte d’un rôle régional majeur.
L’Algérie est à un moment de vérité. Elle possède les atouts, géographiques, historiques, symboliques, pour rester un acteur clé du Sahel. Mais elle doit accepter que le monde sahélien change, que ses voisins ne lui confient plus la clé de la table et que les drones, les mercenaires, les alliances « souveraines » sont autant de signaux que la norme ancienne est morte.
Le pays peut rester dans l’ombre ou retrouver la lumière d’un acteur conscient, adaptatif, assumé. Le désert, qui ne pardonne rien, n’oubliera pas l’étoile qui fléchit.










