
“Don’t Make Me Think”, la civilisation du scroll, ou l’ultime chef-d’œuvre de la pensée humaine.
Le Fil Rouge – Édition inaugurale
C’est officiel : l’humanité s’est enfin mise d’accord sur une loi sacrée, gravée dans le cloud comme un commandement divin : « Ne me fais pas réfléchir. » Non, pire : ne surtout pas penser. C’est le nouveau serment d’Hippocrate du web social. Au premier paragraphe un peu trop long, c’est le goulag algorithmique : ta prose est exilée au cimetière des publications invisibles, là où même ta mère a cessé de te liker.
Bienvenue dans la civilisation du vide, ce grand sabbat où l’on élève le micro-contenu au rang de sagesse suprême. Plus c’est court, plus c’est sacré, et si possible inexistant. Un TikTok de huit secondes remplacera toujours un texte. Un emoji remplace un raisonnement. Un clash devient un best-seller.
Le contenu ? Une robe de vulgarité : plus elle est transparente, plus elle attire. Rien ne vend mieux qu’un putaclic dégoulinant, un scandale de pacotille, un étalage d’intimité crasse. Surtout, n’apportez pas de pensée complexe, le buzz n’attend pas : il exige du sang, des fesses et des punchlines.
Les réseaux sont devenus cette agora où Socrate serait shadowbanné pour “contenu trop long”. Ici, on ne veut pas comprendre le monde, on veut le consommer en 30 secondes chrono. Le feed est un micro-onde à idées tièdes, sucrées, addictives, garanties sans fibres intellectuelles.
Mais à quoi bon s’en plaindre ? Qui a besoin de réfléchir quand on peut scroller ? Pourquoi s’encombrer de nuances quand la polémique procure un shoot instantané ? À quoi bon le poids des mots, quand un “🤡” ou un “🔥” suffit à clore le débat ?
Le XXIᵉ siècle a trouvé son chef-d’œuvre collectif : le vide. Et ça, franchement, c’est brillant.
Le silence de Platon, la chute de Descartes, et l’épiphanie de la barre de chargement.
Nous y sommes : l’humanité ne veut plus penser, elle veut glisser. Pas glisser au sens tragique, glisser du doigt. Haut. Bas. Un pic de dopamine, un soupçon d’abrutissement. Voici le grand accomplissement du progrès.
Nous avons inventé le projet le plus ambitieux depuis l’écriture : l’élimination douce, joyeuse et colorée de la pensée. Socrate sur TikTok serait signalé pour “discours nuisible à la fluidité du scroll”. Kant se prendrait un strike pour avoir prononcé “le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi” sans filtre visage ni chat qui danse.
Le cerveau ? Trop lourd, trop lent, trop 2020.
Ne faisons plus semblant. Le numérique a tranché : réfléchir est un bug, pas une fonctionnalité. On ne lit plus, on scrolle. On ne comprend plus, on like. L’intellect est devenu un lag qu’il faut éradiquer.
Regarde autour de toi : chaque seconde sans stimulus visuel est vécue comme une micro-agression. Une phrase de plus de dix mots est un attentat littéraire. Un article sans GIF est une punition. Mieux vaut une vidéo de bébé singe qui rit.
Le web est devenu un tapis roulant de contenus prémâchés conçu pour te priver d’arrêt. Penser, c’est ralentir. Ralentir, c’est mourir. L’algorithme te veut vivant, mais jamais conscient.
La mise en abîme du vide.
Hier, on brûlait les hérétiques. Aujourd’hui, on ne les like pas. Même sentence, moins de cendres.
Le blasphème de notre époque s’appelle ambiguïté. Le doute. L’analyse. Cette horreur poussiéreuse que l’on nommait nuance. Elle gêne le taux d’engagement, elle plombe le temps de lecture, elle tue l’économie de l’attention.
Alors on simplifie. On écrase. On condense. Jusqu’à atteindre l’expression parfaite du rien : un contenu viral, émotionnel, recyclable.
À chaque débat remplacé par un sticker “💯”, un petit ange du marketing gagne ses ailes.
La société du slogan, temple de la bêtise chic.
Les mots étaient des outils. Ils sont devenus des logos. Tu ne penses plus, tu affiches une étiquette comme un t-shirt de fast-fashion : “Team woke”, “Team réac”, “Team crypto”, “Team mème”.
Le discours est devenu une collection capsule : limité, tendance, vite oublié.
On ne veut plus convaincre, on veut exister dans l’opinion. Pour cela, il faut un format carré, une punchline, un bon timing.
Hier, c’était “Je pense, donc je suis.” Aujourd’hui, c’est “Je publie, donc j’existe.”
Et si ton post ne performe pas, tu n’existes qu’en basse résolution.
L’illusion zen du scroll infini.
Le scroll est devenu la méditation du vide. Une transe légère où le monde se dissout en fragments de pixels et de sons sans contexte.
C’est ta pause. Ta bulle. Ton apocalypse douce.
Penser fatigue. Comprendre engage. Réfléchir brûle des synapses. Et pour quoi faire ? Le monde est trop nuancé, trop injuste, trop complexe. Le scroll est simple, doux, fluide. Il ne résout rien, mais il t’épargne tout.
L’ultime chef-d’œuvre : nous.
Soyons justes : l’humanité a transformé le plus grand outil de savoir universel en distributeur de micro-plaisirs et de polarisation émotionnelle.
Il fallait oser. Le chef-d’œuvre final de la pensée humaine est peut-être d’avoir compris qu’il valait mieux ne plus penser du tout.
Alors, on se retrouve demain, ou pas. Et si ce texte t’a semblé trop long, écris en commentaire : “TL;DR c’est quoi le point ?”
Je te répondrai par un emoji. 👉 🤡🔥💩.
Le XXIᵉ siècle a trouvé son grand œuvre collectif : le vide. Et ça, franchement, c’est brillant.
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