Algérie : la force du gaz, la faiblesse de l’État

Une puissance apparente, une vulnérabilité profonde

Algérie : le paradoxe énergétique et géopolitique d’un géant à l’ombre de lui-même

L’Algérie se tient aujourd’hui comme ce colosse tranquille : riche en ressources, enviée par ses voisins, et pourtant marquée par un tremblement sourd sous ses colonnades de stabilité. Loin d’être une puissance tranquille, elle incarne un paradoxe grave : armée de gaz et de pétrole, mais vulnérable à ses propres dépendances, à ses choix stratégiques et à un avenir incertain.

Le poids de l’énergie : atout ou boulet ?

Avec ses importants gisements d’hydrocarbures, l’Algérie occupe une place majeure sur l’échiquier méditerranéen et africain. Le secteur des hydrocarbures a longtemps représenté un pilier macro-économique, exportations dominantes, recettes fiscales élevées, marge de manœuvre budgétaire importante lorsque les cours montaient. Toutefois, comme l’indique un récent rapport du Fonds monétaire international (FMI), la croissance globale a ralenti à 3,6 % en 2024 (contre 4,1 % en 2023) et l’activité hydrocarbure a été en contraction face aux coupes de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP+) et à la baisse des prix. 
Parallèlement, l’inflation est descendue à près de 4 % en 2024, après avoir franchi les 9 % l’année précédente, ce qui témoigne d’un certain redressement macroéconomique. Banque Mondiale+1

Mais ce tableau prometteur masque des fragilités : le déficit du compte courant est réapparu en 2024, les réserves bien que solides (67,8 milliards US$, soit environ 14 mois d’importations) sont mises à l’épreuve, et le déficit budgétaire s’est creusé (environ 13,9 % du PIB en 2024 selon le FMI).

En clair : la rente énergétique ne garantit pas la sécurité économique. Au contraire, elle inscrit le pays dans une dépendance structurelle aux aléas des marchés de l’énergie, ce qui transforme un avantage apparent en talon d’Achille.

Gouvernance, modèle rentier et efforts de diversification

Le modèle algérien reste largement « rentier ». L’État-public domine, les recettes proviennent massivement de l’énergie, la diversification économique peine à se concrétiser. Le dossier est bien connu : malgré les appels récurrents à développer les secteurs hors hydrocarbures, la part de l’économie non-énergétique reste modeste et les réformes structurelles progressent lentement.

La Banque mondiale, dans son édition de juin 2025, note que le PIB hors hydrocarbures a progressé de 4,8 % en 2024, mais que la marge de manœuvre reste forte pour l’« accélération de la transformation structurelle ».

En revanche, au niveau de la gouvernance, le FMI applaudit certaines initiatives récentes (registre des bénéficiaires effectifs, loi sur les marchés publics, digitalisation) mais prévient que la couverture des données statistiques et la transparence restent déficientes.

Ainsi, entre un modèle économique encore gravé dans la rente et des réformes trop fragmentaires, l’Algérie navigue entre modernisation nécessaire et inertie historique.

Diplomatie, sécurité et influence régionale en recul

À l’échelle géopolitique, l’Algérie jouissait jusqu’à récemment d’une influence respectable dans le Sahel, intervenant en médiateur dans les conflits Touaregs, conservant des liens historiques avec le Mali ou le Niger. Cette position s’érode.

Des événements récents accentuent cette perte de prestige : l’abandon par le Mali des accords de paix d’Alger de 2015, des tensions sur la frontière saharienne, le jeu d’acteurs externes (Russie, Émirats arabes unis, Turquie, Maroc) dans la région …

Sur le plan intérieur, l’appareil de sécurité reste puissant, mais contribue à maintenir un État fort sans pour autant garantir une diplomatie expansive ou offensive. Cette asymétrie entre puissance militaire (et énergétique) et influence diplomatique tangible révèle une vulnérabilité stratégique.

Société, liberté civique, fractures internes

La stabilité externe ne masque pas les tensions internes. Le recul de l’espace civique est patent. En 2025, un journaliste français a été condamné à sept ans de prison en Algérie pour « glorification du terrorisme », dans un contexte dénoncé par des observateurs des droits humains comme un signe d’intolérance croissante envers la critique.

Par ailleurs, le fossé social se creuse : un chômage élevé, notamment chez les jeunes, une diversification embryonnaire, des infrastructures inégales et une attente populaire forte de changement politique et social. La rente ne parvient pas toujours à transformer la manne en progrès tangible pour chacun.

Scénarios et défis pour l’avenir

L’Algérie est à un carrefour. Trois chemins s’ouvrent :

  • Le virage réformateur : diversification rapide de l’économie, réforme de l’État, amélioration de la gouvernance et ouverture politique.

  • Le statu-quo rentier : maintenir le modèle actuel, ce qui peut fonctionner tant que les prix de l’énergie restent élevés, mais qui accroît la vulnérabilité.

  • La dérive vers l’instabilité : si l’économie stagne, si l’influence externe diminue, si la société se fissure, alors les risques d’instabilité, politique, sociale, sécuritaire, augmentent.

Parmi les leviers essentiels :

  • La réduction de la dépendance aux hydrocarbures via l’industrie, l’agroalimentaire, les technologies.

  • La refonte de la gouvernance publique, la transparence, la lutte contre la corruption.

  • L’ouverture politique, la revitalisation de l’espace civique, la restauration de la confiance entre l’État et la société.

  • La redéfinition d’une stratégie géopolitique crédible face à la montée de nouveaux acteurs régionaux.

Mais les dangers sont bien là : un prix du pétrole/gaz en recul, un marché européen qui diversifie ses sources, une diplomatie algérienne dont l’écho se réduit. Selon un rapport de Reuters en octobre 2025, l’Algérie prévoit de réduire son déficit budgétaire de 35 % en 2026, mais ce plan repose sur la croissance des secteurs hors hydrocarbures, une tâche loin d’être simple dans un contexte de dépendance historique.

L’Algérie est une puissance contrariée : par ses ressources, par sa géographie, par son passé, mais entravée par son modèle structurel et ses choix stratégiques. Elle hante l’image du géant tranquille, mais le géant pourrait trébucher si la fragile assise sur laquelle il repose se fissure.

Pour retrouver un réel souffle, l’Algérie ne devrait pas se contenter d’être une puissance apparente : elle doit chercher à redevenir une puissance réelle, ancrée dans la société, l’économie, la diplomatie. Sans cela, l’ombre de la vulnérabilité pourrait bientôt l’emporter sur l’éclat du passé.

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