Pokrovsk, la ville qui vacille : le Donbass au bord du basculement

Alors que les troupes russes resserrent leur étau autour de ce carrefour stratégique, l’Ukraine tente de tenir ses lignes dans une guerre d’usure qui redéfinit chaque jour les frontières de sa résistance.

Depuis plus d’un an et demi, la ville de Pokrovsk, dans la région de Donetsk (Ukraine), s’est retrouvée au cœur d’un bras de fer entre l’armée russe et les forces ukrainiennes. Au début de novembre 2025, Moscou a revendiqué un « renforcement de l’encerclement » de la ville, tandis que Kiev a fermement démenti être encerclé. Ce jeu de déclarations masque une réalité plus nuancée : une progression lente mais constante des forces russes, des tactiques d’infiltration renouvelées, et pour l’Ukraine un défi stratégique majeur pour maintenir ses lignes logistiques.

L’enjeu stratégique de Pokrovsk

Si la ville venait à tomber, Moscou ouvrirait une brèche vers Sloviansk et Kramatorsk, un tournant stratégique aux conséquences politiques majeures pour Kiev comme pour le Kremlin.

Pokrovsk n’est pas une simple localité parmi d’autres : elle est un nœud ferroviaire et routier important dans le Donetsk, ce qui en fait un levier potentiellement crucial pour toute poussée russe vers les villes ukrainiennes encore tenues, comme Kramatorsk et Sloviansk. Depuis des mois, les forces russes cherchent à s’en emparer non seulement par l’assaut classique mais par l’usure et l’isolement des positions ukrainiennes.

L’état actuel des combats et les tactiques russes

• Selon l’Institute for the Study of War (ISW), les troupes russes ont renforcé leur présence dans le secteur de Pokrovsk, en particulier pour consolider les gains issus d’« infiltrations ».

• Une source ukrainienne sur place évoque un rythme d’envoi d’« environ 300 à 400 Russes chaque jour dans cette zone, par groupes de trois à cinq hommes » afin de s’installer progressivement dans des bâtiments.

• Les Russes utilisent des drones avancés, des tactiques d’infiltration, et des attaques ciblées pour neutraliser les opérateurs ukrainiens et affaiblir les lignes logistiques.

• Du côté ukrainien, l’armée réfute la thèse d’un encerclement complet : « La défense de l’agglomération Pokrovsk-Myrnograd se poursuit. Il n’y a aucun encerclement de nos unités et de nos divisions », a déclaré l’état-major.

• Toujours selon l’ISW, la progression russe se fait au prix de pertes sévères : entre autres, l’armée ukrainienne rapporte avoir éliminé plus de 1 500 militaires russes et détruit une importante quantité de matériel en octobre dans ce secteur.

Les conséquences probables d’une prise complète

Si les forces russes venaient à s’emparer de Pokrovsk, plusieurs effets tangibles pourraient se produire :

• La voie logistique ukrainienne vers Kramatorsk et Sloviansk serait lourdement impactée, car Pokrovsk permet de relier plusieurs axes clés. Le ravitaillement ukrainien deviendrait plus vulnérable aux frappes russes.

• Symboliquement, Moscou engrangerait un succès notable dans le Donbass, renforçant sa posture de momentum sur le terrain. Cela pourrait alimenter sa posture diplomatique et morale, à la fois en Russie et à l’international.

• Toutefois, ce gain territorial ne garantit pas une percée majeure immédiate : les analystes soulignent la forme de « damier » que constitue désormais le front, avec des zones imbriquées où ni l’un ni l’autre camp ne dispose d’avantage décisif.

Les limites et les incertitudes

• Bien que Pokrovsk soit sous forte pression, l’Ukrainien reste toujours actif dans la zone, et aucun retrait général n’a été confirmé. Cela laisse envisager une lutte prolongée plutôt qu’une victoire rapide.

• Le terrain urbain, les ruines, les combats au corps-à-corps et les tactiques d’infiltration rendent une progression rapide extrêmement coûteuse en vies humaines et en matériel.

• Même si Pokrovsk était conquis, cela ne signifierait pas automatiquement la chute de Kramatorsk ou Sloviansk : ces villes ont des défenses renforcées, et Kiev pourrait y replier ses forces.

• Enfin, les pertes russes importantes pourraient limiter leur capacité à exploiter le gain pour un élargissement significatif de l’offensive.

Pourquoi la Russie mise autant sur cette ville

Selon plusieurs analystes, notamment Stéphane Audrand cité par France info, la prise de Pokrovsk s’inscrit dans la stratégie russe d’usure de l’armée ukrainienne, visant à provoquer suffisamment de pertes pour altérer la capacité de Kiev à continuer la lutte. Par ailleurs, contrôler Pokrovsk permettrait d’avoir un tremplin vers l’ouest, facilitant des manœuvres autour des villes encore tenues par l’Ukraine.

La bataille de Pokrovsk est bien plus qu’un simple combat local : c’est une illustration de la guerre d’attrition dans laquelle l’un et l’autre camp sont engagés. Bien que l’avance russe soit lente, elle est continue et soutenue, exploitant des tactiques modernes d’infiltration et de drones. Pour l’Ukraine, chaque jour de résistance rend plus coûteuse la conquête de ces positions par Moscou. Pour la Russie, chaque effort vise à créer un fait accompli logistique et symbolique. Si la ville tombe, ce ne sera pas un point final de la guerre, mais un jalon important dont les effets se feront sentir tant sur le terrain que dans les couloirs diplomatiques.

Sources :

• “Why is Russia pushing so hard to take the strategic Ukrainian city of Pokrovsk?”,  Reuters, 4 novembre 2025. Reuters

• “Ukraine war briefing: Ukraine says its troops still holding out in embattled Pokrovsk”, The Guardian, 2 novembre 2025. Le Guardian

• “War in Ukraine: Battle for Pokrovsk enters final phase”, Le Monde, 6 novembre 2025. Le Monde.fr

• “ISW: Russia sends reinforcements to consolidate infiltration gains in Pokrovsk sector”, Euromaidan Press/ISW, 7 novembre 2025. Euromaidan Press

• “ISW: Russia took 21 months to reach Pokrovsk using air interdiction and drone suppression”, Euromaidan Press/ISW, 5 novembre 2025. Euromaidan Press

• “ISW: Russia floods Pokrovsk front with three armies as its losses soar”­, Euromaidan Press/ISW, 6 novembre 2025. Euromaidan Press

• “Russia attacks strategic city of Pokrovsk aiming to cut off supply lines, Kyiv military says”, Reuters, 4 janvier 2025. Reuters